New York, NY
Lors de nos toutes premières discussions sur le projet d’orgue, le Minister of Music, Keith S. Tóth, a présenté une vision particulièrement claire de l’instrument qu’il aimerait avoir pour la Brick Presbyterian Church: un orgue symphonique français dans le style de l’œuvre tardive d’Aristide Cavaillé-Coll, notamment celui des instruments construits pour les résidences privées du Baron de l’Espée, orgues qui se trouvent aujourd’hui à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre et à l’église Saint-Antoine des Quinze-Vingts, tous deux à Paris.
Pour Casavant, cette commande représentait l’opportunité unique de construire un orgue qui reproduirait authentiquement les sons des orgues Cavaillé-Coll, sans adapter la conception tonale à une approche plus éclectique. Avec les conseils précieux et la participation enthousiaste du directeur tonal émérite et expert reconnu du style symphonique français en facture d’orgue, Jean-Louis Coignet, nous avons entamé un voyage de trois ans vraiment fascinant.
Monsieur Coignet a utilisé sa longue expérience acquise avec les grandes orgues Cavaillé-Coll pour établir la conception tonale globale et les échelles de tuyaux du futur orgue. Les visites d’orgues Cavaillé-Coll moins connues mais pratiquement intactes ont été éclairantes pour affiner les paramètres tonaux en fournissant un large aperçu des détails de construction des tuyaux et des techniques d’harmonisation utilisées par Cavaillé-Coll. Certains éléments du cahier des charges final, comme celui du Choeur de Clarinettes au Positif et des mutations indépendantes à la Pédale, ont été directement inspirés par l’orgue de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui était l’orgue préféré de Cavaillé-Coll.
Toute la tuyauterie a été réalisée selon les échelles de Cavaillé-Coll. La majeure partie de la tuyauterie a été construite dans l’atelier de Casavant à l’exception des jeux d’anches à doubles noyaux, des tuyaux de façade et des tuyaux en bois de la Bombarde de Pédale, importés d’Europe. Des entailles de timbres ont été utilisées pour tous les tuyaux à bouche ouverts, à l’exception des tuyaux harmoniques qui ont été coupés au ton. Nous avons intentionnellement décidé d’avoir la Contre Bombarde 32 ‘ en bois, que Cavaillé-Coll a utilisé à quelques reprises car l’acoustique intime du sanctuaire de l’église n’aurait pas permis un jeu aussi important que ce que l’on trouve usuellement dans les grandes églises de pierre en France.
Quatre jeux de l’instrument précédent ont été réutilisés dans le Solo. Nous avons restauré les Flûtes Célestes et le Cor français à partir de l’orgue de 1917 d’Ernest M. Skinner, qui était un admirateur de Cavaillé-Coll. Nous avons également conservé un Cor anglais très intéressant avec des anches libres, qui avaient probablement été fabriqué à Paris à la fin du XIXe siècle par Zimmermann, l’un des fournisseurs de tuyaux de Cavaillé-Coll. Ce jeu, qui a probablement été importé au Canada par les frères Casavant pour l’un de leurs premiers orgues, a été installé dans l’instrument précédent par feu Guy Thérien, qui a construit l’orgue initial de chapelle de l’église.
Beaucoup de recherches sur divers paramètres, par exemple les ouvertures des bouches et des pieds, les entailles, les dents, ont été faites pour obtenir le timbre souhaité, dans le but de conserver la clarté dans toute la palette tout en assurant une initiation en douceur du son.
Une fois l’orgue entièrement assemblé dans notre atelier, nos harmonistes ont passé plusieurs semaines à affiner l’équilibre entre les différents jeux et divisions. Un grand soin a été apporté pour donner à l’orgue une harmonie ascendante typique des meilleurs orgues symphoniques français, avec un tutti dominé par les anches. Ce travail tonal approfondi dans l’atelier n’est pas sans rappeler la pratique courante des facteurs d’orgues à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.
Grâce à cet important travail préparatoire en atelier, la finition tonale sur site n’a consisté qu’à affiner l’équilibre des différents jeux dans l’acoustique du sanctuaire magnifiquement restauré. Certains pourraient penser qu’un instrument de cette taille est un peu grand pour un sanctuaire de 800 personnes, mais l’auditeur trouve que le son dans cette acoustique de salle de concert peut bien voyager dans la pièce sans être écrasant, même lorsque l’orgue est joué fortissimo.
Parce qu’ils étaient basés sur la pratique de Cavaillé-Coll, les orgues construits par les frères Casavant au début du XXe siècle ont servi de modèles pour le système de vent. De grands réservoirs ont été utilisés partout, certains avec des soufflets à double éclisse pour assurer une alimentation suffisante en vent. Le système de vent global est remarquablement stable, même lorsque les octaves graves sont utilisées, mais avec une flexibilité subtile qui améliore les qualités musicales intrinsèques de l’instrument.
Afin de contenir la formidable énergie sonore produite par de si grandes divisions expressives, nous avons conçu et construit des boites à double paroi et des lames d’expression épaisses. La gamme dynamique produite par ces boites reproduit fidèlement les effets dramatiques des crescendi et des decrescendi exigés par la littérature française pour orgue symphonique, ce qui cela a été particulièrement saluée ultérieurement par les interprètes et les auditeurs.
Le buffet d’orgue, qui couvre les ouvertures de chaque côté du chœur, a été conçu par le designer de Casavant, Benoît Gendron, pour compléter le chœur élégant sans être écrasant. On notera que la moulure en bois dans le buffet suit la moulure continue en plâtre de l’église.
Fait intéressant, ce projet nous a ramené aux racines de l’entreprise fondée en 1879 par Claver et Samuel Casavant. Les frères Casavant terminent leur apprentissage de facteurs d’orgues en France à la fin des années 1870, lorsqu’ils rencontrent Cavaillé-Coll et entendent pour la première fois certains de ses instruments. Parmi ceux-ci se trouvait le nouvel orgue de 66 jeux installé au Palais du Trocadéro pour l’Exposition Universelle, qui a fait forte impression sur eux. À leur retour d’Europe, les frères Casavant ont établi leurs ateliers à Saint-Hyacinthe et les ont organisés sur la base des observations faites lors de la visite de Cavaillé-Coll et d’autres ateliers d’orgues de premier plan en Europe. Le style symphonique tel que développé par Cavaillé-Coll a été la principale influence sur le travail des jeunes frères Casavant, qui est toujours en évidence dans les orgues qu’ils ont installés à la cathédrale de leur ville natale de Saint-Hyacinthe (1885) et à la Basilique Notre-Dame de Montréal (1891). Le projet de la Brick Presbyterian Church a renouvelé notre expertise en continuité avec le travail de nos fondateurs.
Alors que l’on peut voir cette réalisation comme celle d’un grand instrument de concert, le nouvel orgue de la Brick Presbyterian Church s’est avéré tout aussi efficace dans son rôle d’accompagnement du culte, ce qui est très gratifiant pour nous. Car depuis la première utilisation de l’orgue pour le culte, il a été observé que la congrégation participait davantage au chant d’hymnes.